ÉPOQUE 1963-1967
Le 7 décembre 1962;, la raison sociale de l'entreprise est modifiée. La société « Les Ateliers de Poclain - Société de Constructions Industrielles Bataille et Fils » est devenue tout simplement « Poclain » et s'est transformée en une société anonyme au capital de 6 500 000 F. Georges Bataille devient Président-directeur général, Pierre Bataille, directeur général, Jacques Bataille, directeur commercial, et Claude Bataille, directeur des études. Trois raisons principales ont dicté cette décision. La première est d'ordre familiale : avec 8 enfants, Georges Bataille se doit d'organiser sa succession tout en préservant l'entreprise. La deuxième est la volonté de poursuivre le développement de Poclain et pour se faire, de trouver les nouveaux capitaux rendus nécessaires par cette expansion. Enfin, la troisième raison est le souci d'associer le personnel et surtout les anciens à la réussite de l'entreprise. Georges Bataille y tient beaucoup : il veut que ceux qui ont contribué par leur travail à ce succès puissent participer autrement que dans leurs salaires à ce qu'il considère comme « une bonne affaire ». Le Poclain Journal s'employera à expliquer les modalités de l'opération, exposant les finesses d'un bilan et les caractéristiques d'une action. Le 17 mai 1963, Poclain est introduit sur le marché Hors Côte de la Bourse de Paris. Durant l'année, 100 000 actions seront émises portant le capital de la société à 16 500 000 F. Sur ce chiffre, 5 000 actions de 100 F sont réservées au personnel. 1964 voit la création de 55 000 nouvelles actions de 100 F par incorporation de réserves et l'émission de 5 000 actions toujours de 100 F réservées au personnel. Le capital de Poclain atteindra ainsi par création et émission successives 35 280 000 F en 1967.
Nouveaux modèles de machines

En 1963, 10 000 pelles Poclain ont déjà été vendues. À la TY 45, se sont ajoutées la TC 45 et la FY 30. En 1964, la
GC 120. En 1965, la
FC 30 et la TCS. En 1966 et 1967, la
LC et LY 80. Ces nouveautés correspondent à la volonté de suivre et parfois, d'aller au devant des besoins des clients. Segmentant la clientèle, Poclain se fait un point d'honneur d'offrir aux utilisateurs un modèle à la fois polyvalent et parfaitement adapté aux conditions de leur travail. Ainsi, les faibles dimensions de la FY 30 permettent de la transporter aisément d'un chantier à l'autre et de la placer sur un wagon plate-forme pour effectuer des travaux le long des voies ferrées. Équipée d'un moteur électrique, elle se révèle idéale dans des tunnels de faible section. Ces caractéristiques ne doivent pas faire oublier que la FY 30 est d'abord un engin très apprécié dans les travaux routiers, les travaux agricoles ou le bâtiment. Même démonstration avec la
LY 80 : au centre de la gamme Poclain, cette machine est encore une pelle de service mais elle permet déjà d'atteindre des rendements intéressants sur les chantiers d'extraction ou de terrassement. Sa force de levage, son court rayon de braquage, son chassis à trois points, la destinent également à tous les travaux de manutention tels que le bois, la ferraille, les betteraves, etc. Techniquement, ces nouveautés respectent les trois principes qui ont permis à la société de prendre son essor : l'interchangeabilité des pièces de base, la continuité des modèles et le nombre des équipements. Ainsi, en 1967, dans la douzaine de pelles inscrites au catalogue, il n'existe que trois types de moteur hydraulique de puissance différente pour la rotation des tourelles, la commande des treuils et la translation des chenilles. Au total, les pelles Poclain possèdent six à sept fois plus de pièces communes que les autres grandes marques de matériel de travaux publics. Complexe à mettre au point, cet effort de standardisation est en revanche l'assurance de longue série. Quant à la volonté de produire longtemps un modèle, elle permet d'amortir les coûts de conception et de fabrication et de ne pas pénaliser l'acheteur par un investissement brusquement obsolète. À la croisée de ces principes, la TY 45, toujours fabriquée en 1968, a le même vérin de flèche qu'en 1961. Dans cette logique de production, les pièces de rechange sont immédiatement disponibles et l'achat d'un engin d'occasion ne pose aucun problème. Le nombre d'équipements, plus de 127, répond, lui, aux besoins multiples des utilisateurs. Ce jeu d'outils extrêmement large s'adapte à chaque type de pelle suivant le principe du Meccano. Des entreprises de travaux publics financièrement puissantes ou de petits entrepreneurs au budget limité peuvent alors rentabiliser leurs investissements. Les uns et les autres bénéficient du même SAV.
Le SAV : une religion

« Le client est roi ! Bien le servir est la première chose ! C'est lui qui nous fait vivre. Il est absolument indispensable de lui fournir de bonnes machines, de l'assister par un service après-vente très efficace et une garantie effective. » Georges Bataille définit ainsi, en 1963, sa philosophie de la vente et de l'après-vente. Ce rappel s'adresse pourtant à une entreprise dont la réputation dans ce domaine a toujours été flatteuse. Poclain ne s'est en effet, jamais contenté de vendre des pelles hydrauliques. L'avant-vente et l'après-vente ont, dès le départ, été des priorités. Conseils, confiance, service. Pour Poclain, cette trilogie se conjugue au niveau national et international. Pratiquement, le SAV est constitutif du réseau commercial. Sauf cas particulier, tout chantier, toute machine, doit être à deux heures maximum du lieu où il est possible de trouver des pièces et des mécaniciens. Ces derniers sont des spécialistes formés chez Poclain. Ils se consacrent à l'entretien et au dépannage des pelles Poclain à travers le monde partout où elles travaillent. Avec un impératif : que les interventions soient aussi rapides que possible, l'immobilisation des machines réduite au minimum. Pour ajouter à cette garantie, des contrats tests peuvent assurer un entretien préventif des pelles à des dates prévues d'avance, et des contrats d'assistance spécifiques sont étudiés pour certains grands chantiers. Surtout, le SAV de Poclain implique la compétence des hommes et la disponibilité des pièces de rechange. Ce dernier service doit être capable de répondre à toutes les demandes, tous les appels des points d'après-vente, dans les délais les plus brefs, en utilisant les moyens les plus rapides pour le transport des pièces.
Réorganisation de la production

Pour faire face à la progression des ventes, Georges Bataille, ses fils et l'équipe de direction planifient dès le premier trimestre 1963 une montée en puissance rapide de la production. Les investissements globaux vont s'élever pour l'année à 14,6 millions de francs, atteindre 23 millions en 1964 avant de se stabiliser autour de 9 millions en 1966 et 1967. L'autofinancement reste traditionnellement important dans l'entreprise. Il est permis par une rotation rapide des stocks et un rendement significatif du capital. Mais à ce niveau d'investissement, le financement doit se compléter, d'une part, par des augmentations de capital et, d'autre part, par prêts. Le nouveau statut de Poclain facilite cet effort. Dans ces conditions, pourront intervenir la modernisation de l'usine du Plessis-Belleville, toujours dirigée par Albert Bulté, la reprise de celle de Compiègne et la transformation du site de Crépy-en-Valois. Le directeur de production, Pierre Ravery, entouré d'Alfred Cortade pour les méthodes et de Gilbert Dejoux pour le lancement-ordonnancement, sera l'âme de cette politique. Il parle modestement « d'évolution des structures des ateliers de production » et met en route avec son équipe un formidable programme afin de doubler la capacité de production de Poclain.
Au Plessis-Belleville, l'aménagement des bâtiments et le renouvellement des machines ne se sont jamais arrêtés depuis les premiers succès de l'hydropelle. Mais en 1963, le rythme s'accélère: nouvelles installations, moyens de manutentions et de transports modernisés, mise en place de machines-outils performantes.
À Margny-les-Compiègne, l'investissement consiste au rachat d'une usine déjà existante. Les « Anciens Ateliers Thomas et Essertier », dont l'origine remonte à 1848, ont comme principales activités la chaudronnerie et la mécanique. Employant en moyenne 120 ouvriers, l'entreprise occupe 8 500 m² dont 5 000 couverts. Poclain démolit les bâtiments les plus vétustes, reconstruit et équipe de nouveaux ateliers pour assurer essentiellement la fabrication des carrosseries de pelles.
Le projet le plus important est celui de Crépy-en-Valois. Commencée au début de 1964, la nouvelle usine sera inaugurée le 3 mai 1965 en présence du Ministre de l'Industrie et du Commerce, M. Bokanowski. Occupant un terrain de 120 000 m², située en bordure de la voie ferrée Paris-Laon, l'usine a toujours à sa tête Jean Éverard et comprend deux unités de production, fabriquant, pour l'une, les équipements destinés à l'ensemble des pelles et, pour l'autre, sortant en série les modèles
TY 45 et TC 45. Véritable
vitrine technologique des méthodes de fabrication Poclain, l'usine des Tournelles est en outre conçue pour permettre les développements successifs qui pourront s'imposer. Dans son discours inaugural, Georges Bataille précise la stratégie de Poclain : « A notre avis, seule la production en masse permettra aux Sociétés les plus entreprenantes de bénéficier de l'ouverture des frontières, à la condition, toutefois, qu'elles fassent l'effort technique nécessaire. » Chez Poclain, cette montée en puissance de la production se fait dans le cadre de ses spécialités : assemblage, montage et mécano-soudure. Pour l'heure, on intègre le moins possible et la sous-traitance est toujours la règle.
Nouvelles filiales de vente
Le 7 février 1963 intervient la création de la société filiale American Poclain Corporation dans le New-Jersey, le 10 septembre, celle de Poclain Ltd en Angleterre, le 10 décembre, celle de Poclain Canada Ltée à Montréal, le 21 novembre 1966, celle de la Poclain Far East. Il y en a d'autres. En 1967,
Poclain compte à l'étranger 11 filiales, 30 succursales et 70 concessionnaires dans 80 pays. En fait, dès 1964, Poclain réalise 45 % de son chiffre d'affaires à l'exportation. Variant selon les pays les formes d'implantation, la Direction et les responsables export allient dans leur choix, la prospection, le flair et les nécessités. « La politique commerciale de Poclain est de poursuivre méthodiquement une implantation géographique maximum » déclare Jacques Bataille en 1963. Son frère Pierre renchérit quelques années plus tard en expliquant : « Un marché a horreur du vide et il faut occuper l'espace que l'on a pu découvrir ; si on ne l'occupe pas, il est certain que d'autres l'occuperont à votre place. » Encore faut-il l'occuper correctement. Pour Poclain, la création d'une filiale est souvent la réponse à un agent déficient ou introuvable dans un pays industrialisé susceptible de débouchés importants. Cette solution, onéreuse dans un premier temps, permet d'être présent sur un marché a priori rémunérateur et de l'être dans des « conditions Poclain » : préconisation avant la vente, SAV, documentation technique, formation de conducteurs, dépanneurs, pièces de rechange. Symbole de cet effort, la filiale allemande est la plus ancienne (1956). Dirigée par Wolfgang Pieper, elle compte, dès 1963, une centaine de personnes dans les secteurs directs (Hambourg, Cologne, Kehl) et 20 concessionnaires. Cette filiale est organisée en un Siège central situé à Francfort et dix points de vente. Chacun de ces points de vente comprend un directeur, quatre ou cinq vendeurs, un personnel administratif, un atelier de réparation et d'entretien, un stock de pièces de rechange. Dans le cas de ces succursales, le compromis à trouver est entre la taille de la structure, l'efficacité, la rentabilité et la proximité. En Allemagne, cet ensemble homogène place Poclain, malgré la concurrence, dans le peloton de tête de la pelle hydraulique. De même, Poclain S.A. Belgique, créée en 1959 et menée par Isidore Draguet, est un bon exemple de la politique d'implantation suivie par Poclain à l'international.
Connaître et se faire connaître
Expomat,
Foire de Leipzig, d'Osaka, de Chicago, de Moscou, partout, ces manifestations que fréquente et prépare systématiquement Poclain permettent à l'entreprise d'afficher sa présence, découvrir un marché, prendre des contacts, vendre, surveiller la concurrence. L'habitude est ancienne : au niveau régional puis au niveau national, Georges Bataille avait dès ses débuts d'industriel misé sur une démarche dynamique. Il n'hésita jamais à parcourir la France pour vendre ses fabrications et fut, bien avant la guerre, le premier client de l'OPG, l'Office de Publicité Générale. Avec un produit comme la pelle hydraulique, répéter en France et à l'étranger cette même « agressivité » commerciale est pour ses fils une évidence. Il faut aller à la rencontre du client où qu'il se trouve. L'interroger sur ses besoins, offrir conseils, matériels et services, accompagner son développement et se développer avec lui. Outre le fait que Poclain doive bâtir une image de marque et trouver de nouveaux débouchés, l'hydraulique se comprend comme une sorte de croisade dans un marché dominé par le cable. Dans le secteur des Travaux Publics, la passion n'est pas chose si courante pour qu'elle ne se remarque pas. Et les hommes de Poclain sont des passionnés. Passionnés d'une technique, l'hydraulique, passionnés d'un produit, la pelle, passionnés d'une entreprise, Poclain.
La communication est alors une démarche naturelle ; il faut faire partager ses convictions, montrer ce que l'on sait faire, ce que l'on est et ce que l'on cherche. Pas de secret. Journées Portes Ouvertes, Journées Internationales, journées de démonstration, visite, lancement d'un nouveau modèle, inauguration d'une nouvelle usine,
tout est sujet à évènement et occasion pour ouvrir l'entreprise. Catalogues, plaquettes, notices, photos, journaux, films et même radio, complètent, amplifient et répercutent cette attitude résolument tournée vers l'extérieur. Ce qui se fait couramment dans d'autres domaines de l'activité industrielle, par exemple l'automobile ou l'aviation, Poclain le réalise dans le monde des travaux publics. Cette avance où l'enthousiasme le dispute à la stratégie sera pour beaucoup dans l'état d'esprit des hommes de chez Poclain. Ils portent leurs pelles hydrauliques en drapeau et mettent leur passion dans la boue des chantiers. Ainsi, alors que la plupart des autres constructeurs peignent leurs engins de couleurs ternes, Poclain livre ses modèles en rouge. Et valorisant ses produits, la société valorise du même coup ses clients. Ceux-ci ne s'y trompent pas. Informés, invités, interrogés, ils participent à la vie d'une entreprise qu'ils sentent à leurs côtés. Convaincus par le matériel, ils deviennent souvent les meilleurs vendeurs Poclain. S'installe alors entre le fabricant et l'utilisateur une relation basée sur la confiance et la durée.
Georges Bataille, président d'honneur
En 1967, à 70 ans,
Georges Bataille devient président d'honneur et conserve le bureau voisin de celui de son fils Pierre qui lui succède en tant que Président directeur général. Sa seule exigence : que les portes restent à l'image de son entreprise, ouvertes. En fait, depuis quelques années déjà, ses enfants Jacques, Pierre et Claude assurent la direction effective de Poclain. Les choses se sont faites progressivement. Lorsque la TU connut ses premiers succès, Georges Bataille comprit que cette machine d'une autre génération nécessitait une autre génération. Et il laissa de plus en plus l'initiative à ses fils, s'attachant dès 1958 aux programmes généraux, aux décisions de principe et à la préparation de l'avenir. Désormais président d'honneur et fondateur, il est le symbole d'une réussite et d'un esprit où l'industrie ne se conçoit qu'au service de l'homme. Pour tous, il est et reste Poclain parce que sans lui, rien n'aurait été possible.
Première diversification

En 1966, M. Noly, directeur de Potain, désire rencontrer Pierre Bataille. Il souhaite mettre un équipement rétro sur certaines des grues qu'il fabrique. Pierre Bataille répond que lui-même a dans l'idée de mettre un équipement grue sur des pelles. Un rendezvous est pris. Des contacts s'établissent. Coïncidence heureuse, la société fondée par Faustin Potain n'est pas sans ressemblance avec celle du Plessis-Belleville. Leader de la grue à tour, Potain compte 2 000 personnes, cinq usines et un réseau commercial qui couvre le monde entier. Tout comme Georges Bataille, Faustin Potain commence modestement : fils de paysan, apprenti maçon, ouvrier-chaudronnier aux Forges de la Clayette dans le Charolais, il se lance en prenant un premier brevet de liens d'échafaudages. C'était en 1929. Toujours à l'image de Poclain, ce n'est qu'après la guerre que Faustin Potain trouve ce qui fera sa renommée : il se spécialise dans les grues à tour et son entreprise connaît alors un formidable essor. La rencontre avec Pierre Bataille se comprend dans le cadre de l'expansion du département Travaux Publics Manutention. Pour Potain, ce développement passe en effet par un accord avec un constructeur important de ce secteur. Il rejoint par là les préoccupations de la direction de Poclain : « Le chantier, les travaux publics, la construction évoluent et au cœur de ce marché, les problèmes de manutention prennent une importance de plus en plus grande. » De cette convergence de vue, naîtra le 4 novembre 1966 PPM. Potain-Poclain-Matériel est une société possédant sa propre structure. Détenue à 50 % par Poclain et 50 % par Potain, elle possédera sa propre usine à Montceau-les-Mines, 4 000 m² sur un site de 12 hectares. P.P.M. travaillera en liaison avec le bureau d'études de Poclain pour les questions hydrauliques et avec celui de Potain pour les questions de manutention. Le réseau de distribution de PPM. s'appuiera sur ceux des sociétés « mères » et notamment, le réseau international que Poclain a mis en place dans plus de 80 pays. Cette première diversification préfigure ce que doit être Poclain demain : une entreprise mondiale avec une gamme de produits diversifiée autour de la pelle hydraulique.
Poclain en 1967
En 1967, Poclain est depuis cinq ans déjà le premier fabricant mondial de pelles de chantier à commandes hydrauliques. La progression du CA de la société a été jusqu'en 1965 de l'ordre de 30 %. En 1967, il est de 12,5 % dans un marché qui tend à se stabiliser. 3 740 personnes dont 2 809 en France réalisent 297 millions de F de chiffre d'affaires. 50 % de cette somme se fait à l'étranger et ce pourcentage tend à augmenter chaque année.