ÉPOQUE 1976-1977


Une 160 travaillant avec un dumper Volvo À partir de 1975, l'activité commerciale de Poclain se déroule dans un climat très difficile. La conjoncture tant internationale que nationale confirme une chute générale des marchés et une agressivité accrue de la concurrence. En outre, la compétitivité de l'entreprise française est entamée par des fluctuations monétaires. Dans ces conditions, l'ensemble du Groupe Poclain enregistre en 1976 un déficit de 138 millions de francs pour un chiffre d'affaires en hausse de 17 % et qui dépasse les 2 199 millions. Cette augmentation est essentiellement obtenue par la progression des ventes de pièces détachées et la prise en compte des produits Volvo commercialisés par le réseau Poclain en France et en Allemagne. Globalement, en 1976, le volume des ventes s'est à peine maintenu au niveau de 1975. Ce chiffre, déjà insuffisant pour les moyens de productions de Poclain, va lourdement chuter en 1977. Cette fois, la division Pelles est la plus touchée, et à l'intérieur de cette division, les ventes France accusent en moyenne une baisse de 30 %. Les difficultés sont les mêmes à l'étranger. En fait, à la diminution des commandes s'ajoute une hausse générale des matières premières et de la sous-traitance. Une 350 CK en terrassement par « en haut » méthode Blondiau/Patel Les ajustements de production et de tarifs ont beau être décidés, ils ne se mettent en place qu'avec décalage. Dans ces conditions, les stocks, où deux gammes de modèles cohabitent, deviennent pléthoriques et entament un peu plus la rentabilité des produits du Groupe. Dans cette spirale, les finances de l'entreprise française sont malmenées. Depuis des années, en l'absence de fonds propres suffisants, Poclain a dû largement faire appel au crédit pour mener à bien sa politique d'expansion rapide, un crédit à l'origine bon marché et qui devient brusquement plus cher. La modernisation de son outil de production, son implantation internationale, sa politique de diversification ont dépendu de ses capacités d'autofinancement. La croissance et les bénéfices ont répondu longtemps à cette prise de risque. L'un et l'autre stoppés dans une crise économique beaucoup plus profonde que prévue, ni les Pouvoirs Publics, ni les banques n'acceptent de s'engager plus avant. L'entreprise a pourtant un besoin urgent de capitaux. Un besoin d'autant plus urgent que cette conjoncture défavorable correspond avec la montée en puissance de la concurrence.


La concurrence

De faible aux premiers temps de la pelle hydraulique, la concurrence est devenue de plus en plus présente au cours des années. Sur le plan international, jusqu'en 1973, seuls deux constructeurs allemands, Orestein und Koppel (0 et K) et Liebherr, se retrouvent en compétition avec Poclain. Ces deux groupes disposent d'une gamme assez large de matériels et possèdent un réseau couvrant de nombreux pays. Produisant chacun environ la moitié du nombre d'unités fabriquées par Poclain, ils n'en tiennent pas moins des parts importantes de marché. D'autres firmes d'un rayonnement plus limité se sont elles aussi lancées dans l'hydraulique. Ainsi, en 1973, six constructeurs se partagent les 3 000 pelles du marché français. Poclain détient 55,2 % de ce chiffre, Liebherr 12,4 %, Richier 12,4 %, Yumbo 6,9 %,0 et K 5,8 %, Pingon 4,9 %, le reste, soit 2,4 %, étant détenus par des marques diverses. En résumé, si Poclain est dans son propre pays l'incontestable leader, il n'a pas éliminé pour autant toute concurrence significative. Cette situation se retrouve sur le marché international. Numéro 1 mondial de la pelle hydraulique, Poclain ne représente « que» 13 % du marché en RFA, Il % en Grande-Bretagne, 10 % en Italie, 42 % en Espagne, 22 % au Canada et seulement 6 % aux USA. C'est d'ailleurs de ce dernier pays et du Japon que le danger viendra. En 1972, reconnaissant « de facto» l'avenir des pelles hydrauliques en tant qu'engin de travaux publics, Caterpillar annonce son entree sur le marché. La phase de montée en puissance intervient à partir de 1973 avec des modèles aux performances voisines de celles de la nouvelle gamme Poclain. Effet d'entraînement, John Deere, International Harvester, Massey Ferguson, Ford, soit directement, soit par sociétés interposées, se portent eux aussi sur ce marché, durcissant d'autant la compétition. Quant au Japon, il est, à terme, un concurrent redoutable. Ce pays, dont le marché intérieur est équivalent en volume de pelles hydrauliques à la totalité du marché mondial, présente des spécificités telles qu'il n'est réellement accessible que par des accords de licence. Possibilité à double tranchant: dans la logique économique du Japon, ces accords ne sont qu'une étape. L'apprentissage technologique et la mise au point du marché effectués, l'industriel japonais retrouve son indépendance et applique ses méthodes, d'abord pour saturer le marché intérieur, ensuite pour se tourner vers l'international. En 1977, des pelles hydrauliques japonaises commencent à se montrer hors de leurs frontières et de leurs débouchés traditionnels. En avant-garde.


La nouvelle gamme

Une 600 CK au travail Présentée à l'Expomat de 1974, la nouvelle gamme Poclain est techniquement une réussite. Économes en énergie, confortables, performantes, novatrices, ces machines ont été conçues pour reprendre une longueur d'avance à la concurrence et donner un coup de fouet aux ventes. Elles confirment l'évolution du marché de la pelle hydraulique vers des engins de moyenne et forte puissance. Cette tendance « grosses pelles » se double d'une technologie de plus en plus sophistiquée. La TU est bien loin. Ce changement, bien que jugé inéluctable, n'a pourtant pas que des avantages pour l'entreprise : elle permet, certes, le développement du marché en valeur mais rend plus complexe la conception et la mise au point des modèles. En aval, les prix qui en découlent restreignent d'autant les investisseurs possibles. Difficulté également en amont, à la production. Le démarrage en série, déjà compliqué pour de simples évolutions, exige avec cette nouvelle gamme de profondes modifications et une formation du personnel accrue. Les « grosses pelles » se révèlent en fait un autre métier, dans un marché fortement concurrentiel où l'hydraulique se heurte aux machines à câbles, fiables et bien implantées.
Les premiers modèles seront commercialisés dans le courant du deuxième semestre de 1975. Le moment tombe mal. L'économie plonge dans la crise et l'électrochoc commercial espéré n'aura pas lieu. Au contraire, le recul des commandes va étaler dans le temps le chevauchement des deux gammes, perturbant un peu plus les plans de production. Sans compter les problèmes de fiabilité inhérents à tout nouveau produit et la dépréciation automatique des pelles de l'ancien catalogue.


Les temps difficiles

En 1976, Pierre Bataille et la Direction se retrouvent au pied du mur. Les études menées au sein de la société concluent au caractère anormalement élevé des coûts de fonctionnement du Groupe. Les raisons les plus fréquemment évoquées de cette dérive sont le sureffectif et un surendettement avec des taux d'intérêts très élevés pour un carnet de commande rétréci. Poclain ne conteste pas ces analyses et étudie toutes les solutions possibles. Mais la marge de manœuvre de l'entreprise est étroite. Administrativement impossible, dans le contexte social du moment, de procéder brutalement aux 1 500 suppressions d'emplois jugées indispensables par la Direction. Pierre et Claude Bataille en réunionDifficile de se désengager de filiales qui ont représenté souvent un investissement important, dont la revente est dévalorisée par la conjoncture économique et dont la fermeture définitive coûterait, dans certains cas, plus d'argent que les pertes qu'elles occasionnent. Douloureux, enfin, de changer les habitudes d'une société qui n'a fait jusque-là que grandir, dont l'esprit d'entreprise a toujours correspondu avec l'esprit de conquête. Le temps presse néanmoins. En 1976, Pierre Bataille et la Direction décident de réduire les investissements à 20 millions de francs, pour Poclain SA et à 41 pour le Groupe, de développer sa collaboration commerciale avec Volvo et d'arrêter l'unité de montage de Fredericksburg aux USA. Au niveau des charges de structures, l'effectif sera diminué de 8 %, essentiellement dans les catégories employés, maîtrise et cadres. Certaines compétences seront redéfinies dans une optique de rationalisation des tâches et de rapidité des décisions. Au niveau production, la sous-traitance sera systématiquement encouragée pour adapter le rythme de fabrication à la demande. Un système d'horaire variable instauré, le montage « en poste » peu à peu étendu. Ce plan n'est pourtant qu'une solution à court et moyen terme. Sans nouveaux moyens financiers, la société ne pourra investir ni dans le développement technologique de ses produits, ni dans l'outil de production. Les banques se montrant opposées à tout dépassement supplémentaire, Pierre Bataille et la Direction n'ont d'autre solution que de chercher ailleurs des capitaux.


La recherche de capitaux

Cette recherche de capitaux n'est pas facile pour Poclain. Le marché financier est tel qu'un appel à la Bourse est exclu. Il faut trouver un ou plusieurs investisseurs. De nombreuses discussions ont lieu, des rapprochements envisagés, des montages esquissés. À l'échelle de la France d'abord, puis de l'Europe ensuite, contacts et pourparlers se multiplient. Sans résultat. Finalement, Pierre Bataille, en accord avec son Conseil d'Administration, fait jouer ses contacts avec le Groupe Case-Tenneco. Ce dernier dispose de capitaux considérables et se montre tout de suite intéressé par les propositions de Poclain. Le groupe américain cherche en effet une affaire européenne disposant d'une pelle hydraulique de qualité et d'un réseau commercial recouvrant l'Europe. L'entreprise du Plessis-Belleville est donc une cible idéale. Après négociations, Pierre Bataille a en main une lettre signée par J.I. Case proposant une OPA amicale pour 100 % des actions au prix de 350 F l'action. Deux raisons dictent cette solution : la première est que Poclain n'a pu trouver en France, ni en Europe, les capitaux nécessaires à sa survie et à son redressement. La deuxième est que la Famille Bataille, n'ayant aucune possibilité personnelle pour assurer cet investissement, juge préférable, dans l'intérêt des actionnaires, de se retirer. Effectivement, si l'offre de Case est à 350 F, l'action Poclain vaut à la Bourse... 110 F. Raymond Barre, Premier Ministre, après un rendez-vous avec Pierre Bataille et les présidents du Crédit Lyonnais et du Crédit du Nord, met son veto à cette solution : « Poclain ne peut pas devenir américain. » Finalement, après de nombreuses négociations, les banques n'acceptent de faire l'échéance du 10 février 1977 que si, dans une lettre conjointe, le Ministre des Finances et le Ministre de l'Industrie autorisent Case à prendre 40 % de Poclain. Les Pouvoirs Publics donnent leur accord après une dernière condition : que les actions de la Famille Bataille (15,9 %) soient bloquées pour 8 ans. Entre cette solution et le dépôt de bilan, la Famille Bataille s'incline et perdra, en 8 ans, 90 % de son capital. Le 31 mars 1977, la société française procède à une augmentation de capital entièrement réservée, permettant au Groupe Case-Tenneco de devenir actionnaire de Poclain.


L'accord de mars 1977

Par l'accord de mars 1977, la société américaine prend 40 % du capital du groupe français en souscrivant 629 983 actions nouvelles pour le prix de 310 F l'action, soit un apport de capitaux de plus de 195 millions de francs. 34 % est désormais détenu par un groupe d'intérêt français composé de la Famille Bataille (15,9 %), et de diverses banques et investisseurs institutionnels (12,1 %). 26 % reste dans le public. En fait, Case-Tenneco n'entre pas seulement dans le capital de Poclain mais rachète également les filiales d'Allemagne, de Belgique, d'Espagne, de Grande-Bretagne et du Brésil. Case reprend d'autre part la distribution d'une partie de la gamme Poclain en Amérique du Nord. Pierre Bataille et son Conseil d'Administration ne se font pas d'illusions. Ils savent que ne possédant plus la maîtrise commerciale, c'est, à terme, tout Poclain qui passera sous le contrôle de Case. Les Pouvoirs Publics français, par la voix de Michel d'Ornano alors ministre de la Recherche et de l'Industrie, ne partagent apparemment pas cette analyse et n'imposent à cet accord qu'un certain nombre de conditions industrielles. La première de ces conditions est le maintien en France des centres de décisions et d'un potentiel d'études et de recherches au moins égal à ce qu'il est. La deuxième est non seulement le maintien mais aussi le développement du potentiel de production installé dans l'hexagone, avec une mention particulière pour Poclain Hydraulics dont les efforts dans le domaine de l'hydraulique ne doivent pas être pénalisés. Sur ces deux points, le Groupe américain donne des assurances. Il élabore un plan de développement à 5 ans et affiche comme résolution la promotion dynamique de la vente des pelles du constructeur français dans le monde entier. Bien évidemment, Case-Tenneco reconnaît la valeur commerciale du nom « Poclain » et l'utilisera. En ce qui concerne Poclain Hydraulics, aucun changement ne devrait intervenir avec la Société mère. Cette dernière poursuivra ses achats et ne remetttra pas en cause les recherches mises en place avec sa filiale pour développer plus avant ses systèmes. En 1977, si 60 % de l'activité de Poclain Hydraulics est directement liée à Poclain, les ventes à l'extérieur enregistrent une progression de 30 %. Le chiffre d'affaires, lui, dépasse les 250 millions de francs. Autre déclaration favorable à cette filiale: Case-Tenneco étudiera favorablement les conditions pour utiliser les composants de Poclain Hydraulics dans ses propres engins de travaux publics. Même volonté affichée avec PPM et Derruppé : maintenir, développer et harmoniser les gammes.
Ce sont sur ces bases que l'accord a pu se conclure. Juste à temps. Pour Poclain, son personnel, ses fournisseurs et ses clients, cette période d'incertitude et de flottement engendrait doute et démobilisation. Cet accord avec Case-Tenneco redonne confiance et l'année 1977 se termine mieux qu'elle n'avait commencé avec une nette amélioration des ventes. Cela ne suffit pas. Le bilan de l'exercice reste déficitaire avec 172 millions de francs de perte et un chiffre d'affaires en baisse de 8,3 %. Il a fallu recourir au chômage partiel pour le personnel mensuel (4 mois à 32 heures) et, dans certaines usines, décider de périodes de chômage technique allant de 31 à 47 jours.

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